Le marketing de performance favorise l’optimisation Une interview croisée avec Isabel Huber et le prof. Sven Reinecke
On exige aujourd’hui du marketing qu’il puisse présenter sa performance en toute transparence et qu’il soit synonyme d’investissement. Comment optimiser le marketing de performance, y compris pour atteindre des objectifs à long terme? Isabel Huber de McKinsey & Company et le prof. Sven Reinecke de l’université de St-Gall répondent à cette question.
Quand considérez-vous les mesures de marketing comme un investissement et non comme un simple coût?
Isabel Huber: Je pense que les mesures de marketing sont toujours un investissement. Sauf si on fait vraiment n’importe quoi. Mais la question centrale est de savoir s’il s’agit d’un investissement judicieux ou non. Il faut investir son argent dans des mesures qui aident le mieux possible à atteindre les objectifs, et qui assurent ainsi un ROI élevé. Dans ce cadre, les principaux objectifs peuvent être à court terme et quantitatifs, mais aussi à long terme et stratégiques, par exemple si l’on considère la valeur client en plus de la vente. Il faut garder à l’esprit que toutes les mesures ont un effet de ruissellement, et influent donc sur d’autres objectifs. Les entreprises doivent toujours considérer ce phénomène et en évaluer les effets au préalable. Il faut par exemple éviter que des mesures tactiques prévues pour des objectifs de vente à court terme n’influent négativement sur les objectifs à long terme relatifs à l’image et axés sur la raison d’être. Idéalement, la plus-value de toutes les mesures sera donc étudiée. Le retour sur investissement marketing (le ROMI) et les modèles de valeur client doivent se développer en synergie.
Sven Reinecke: Les mesures de marketing peuvent représenter un investissement ou un simple coût, selon les objectifs. Je connais une société qui attend de chaque campagne un ROI positif dans les 90 jours. Il s’agit là d’une pure tactique marketing de performance, et c’est un simple coût. Mais s’il faut construire un univers de marque et lui assigner des valeurs ou approfondir les relations avec la clientèle, le marketing est un investissement. Le choix des médias ne constitue pas un critère. Le même canal peut représenter un investissement ou une charge. On le voit bien dans le cas du mailing direct. Est-il conçu dans le seul but d’atteindre un taux de réponse élevé? Dans ce cas, il doit être rentable à court terme, car il n’aura quasiment aucune influence sur la marque. Par contre, il peut être utilisé pour une stratégie d’image de marque à long terme. Il en va de même pour le marketing en ligne. Une entreprise peut optimiser complètement ses médias sociaux en vue d’obtenir des résultats immédiats, ou pour des objectifs plus lointains, qui sollicitent un engagement de l’utilisateur plutôt qu’un achat. Cependant, je constate fréquemment que les entreprises affirment d’abord que leurs campagnes poursuivent un objectif de vente. Si elles ne l’atteignent pas, elles soutiennent avoir au moins amélioré l’image. On ne peut pas agir ainsi. Il faut définir le but dès le début et le mesurer systématiquement à la fin.
Le marketing de performance implique de se fixer des objectifs concrets. Quelle est la meilleure façon d’y parvenir?
Isabel Huber: Pour des raisons historiques, beaucoup d’entreprises sont axées sur les tendances du passé. Elles analysent rétrospectivement ce qui a permis aux objectifs de fonctionner et appliquent ces enseignements au monde de demain sur la base de benchmarks et d’hypothèses de marché. C’est un bon début. Mais d’autres questions sont également capitales: de quoi avons-nous besoin pour recevoir la commande d’un client et conserver ce dernier? Que devons-nous faire pour assurer cette valeur client? Tel est le niveau d’investissement optimal dans le marketing. D’un point de vue méthodologique, cela suppose un lien toujours plus étroit entre la valeur client et les modèles ROMI. Au lieu de considérer des objectifs et des mesures individuels, on se concentre sur une image cible globale. Le pilotage via des KPI intégrés est effectué au plus haut niveau, le long de la chaîne de création de valeur ou de l’entonnoir de vente. Les objectifs sont ensuite décomposés et rendus opérationnels avec des chiffres clés. Tous ces processus s’appuient sur des données. Auparavant, il était impossible de rendre compte des aspects qualitatifs d’un objectif, tels que l’image, les valeurs de la marque ou encore la satisfaction de la clientèle. Aujourd’hui, nous avons des méthodes pour les mesurer toujours plus finement. Cela nous permet d’associer le court et le long terme.
Sven Reinecke: L’analyse des résultats doit établir aussi bien l’efficacité que la rentabilité du marketing. Le marketing de performance doit donc tenir compte des deux. En matière d’efficacité, il faut d’abord se demander ce que sont une bonne performance et un objectif judicieux. Des tests A/B permettent de répondre à cette question. Je suis partisan des tests et recommande aux entreprises de consacrer 5% de leur budget marketing à la mise en place d’innovations et d’expérimentations. Tels sont en effet les fondements d’une communication orientée vers les objectifs et propre à déclencher une action. Il s’agit de faire progresser les clients étape par étape dans leur parcours. Ils doivent dire «oui» aussi souvent que possible – et «non» aussi rarement que possible. Ce type de marketing passe par des cycles d’apprentissage. Les tests nous aident à accompagner toujours plus efficacement les clients sur la «voie du oui». Nous pouvons ainsi affiner en permanence les objectifs du marketing de performance. Par contre, en ce qui concerne l’efficacité des campagnes, l’entreprise fixera des objectifs avec des indicateurs clés de performance, tels que le coût par lead. Le succès est toujours relatif: il s’agit d’examiner le rendement par rapport aux coûts. Une comparaison intrasectorielle permet de poser des objectifs réalistes.
Comment combiner le marketing de performance, axé sur les chiffres et le court terme, avec le marketing de raison d’être, orienté sur le long terme et centré sur les gens?
Isabel Huber: Cette question a longtemps fait débat. Mais selon moi, il ne faut pas nécessairement choisir. Un pilotage moderne doit intégrer les deux. Au début, on doit souvent prendre une décision stratégique: quelle part de nos ressources souhaitons-nous consacrer aux mesures à court terme et à celles à long terme? L’équilibre idéal peut varier énormément selon le contexte. Quelle que soit la décision prise, l’entreprise doit veiller à pouvoir mesurer la valeur et l’impact à long terme de toutes les mesures de marketing, même si la tâche s’avère naturellement beaucoup plus difficile que pour du court terme, comme dans le cas d’un déploiement opérationnel axé sur la vente. Enfin, il est capital de trouver un équilibre entre l’art et la science dans le domaine du marketing. Il faut en outre dépasser l’esprit de silo. Trois points sont centraux en la matière. Tout d’abord, il faut un pilotage intégré depuis le haut, avec de la hauteur de vue. Ensuite, il faut privilégier les formes de collaboration agiles et basées sur les demandes, et dépasser les frontières entre les équipes et les services. Lorsque des spécialistes de différentes disciplines travaillent ensemble sur des campagnes, il leur est alors plus facile de dépasser des silos préexistants. Enfin, il faut créer une culture qui se détache complètement du «combat des silos». À cette fin, le travail des cadres est une aide précieuse. Ils montrent que les éléments à court comme à long terme ont une raison d’être au sein du marketing et ils incarnent cette philosophie.
Sven Reinecke: Il est essentiel de comprendre que le marketing de performance et le marketing de raison d’être sont tous deux nécessaires. En marketing, la raison d’être représente le «pourquoi». Il s’agit d’une finalité et non d’un but que l’on s’est fixé. Elle concerne la motivation et l’implication du client et façonne l’image de marque. La raison d’être constitue donc la base du marketing de performance, qui traite du «comment», de la mise en œuvre idéale. Il faut aller chercher les clients là où ils se trouvent et les emmener aussi facilement que possible sur la «voie du oui», jusqu’à l’achat. Le marketing de performance favorise grandement une marque forte, clairement positionnée et offrant une véritable valeur ajoutée aux clients, notamment en Suisse. Lorsque les gens évaluent par exemple les primes d’assurances sur un comparateur en ligne, ils choisissent généralement une compagnie qu’ils connaissent, même si elle n’est pas l’une des plus avantageuses. Les marques doivent donc d’abord être ancrées dans l’esprit des consommateurs. C’est l’une des tâches des responsables marketing de mettre ces liens en évidence. Les spécialistes de ces deux mondes devraient collaborer pour mieux se comprendre et coordonner leurs mesures.